Dozulé (1972-1978) : "une grande tribulation"

Présentation et extraits : 

Mère de cinq enfants, habitante de Dozulé (Normandie, Calvados, diocèse de Bayeux), Madeleine Aumont (1924-2016), a des visions de Jésus, de Marie (le 31 mai 1974) et de l’archange saint Michel entre le 29 mars 1972 - suite à une expérience de "résurrection" spirituelle en avril 1970 - et le 6 octobre 1978.

Outre la vision d’une immense "croix glorieuse", haute comme Jérusalem, elle entend des messages "prophétiques" :

  • Paix et joie reviendront sur la terre après une "grande tribulation" et la "défaite de Satan".
  • Jésus reviendra bientôt dans la gloire.

Les apparitions de Dozulé ont acquéri une certaine notoriété à cause des messages (5 octobre 1973 et 5 avril 1974) concernant la construction supposément voulue par Dieu d'une croix de 738m, hauteur de la Ville Sainte, et des bras de 123m - "Signe du Fils de l'Homme" avec des connotations eschatologiques. On peut facilement comprendre que cette seule demande, jugée irréalisable par certains, ridicule par d'autres, aurait suffi pour décrédibiliser les apparitions de Dozulé aux yeux de beaucoup. Par contre, d'autres éléments des locutions de Madeleine restent difficiles à expliquer sans avoir recours à l'hypothèse d'une inspiration surnaturelle. Ses messages contiennent notamment un nombre considérable de phrases en latin, langue qu'elle ne connaissait pas, en commençant par les mots "Ecce Crucem Domini" (Voici la Croix du Seigneur) lors de la toute première apparition. Ces phrases, dont l'une des fonctions semble avoir été de servir comme signe d'authenticité pour l'évêché (voir le message du 6 juillet 1973) atteignent parfois une certaine densité linguistique et théologique : 

"O Sorte Nupta Prospera Magdalena ! Annuntiate virtutes ejus qui vos de tenebris in admirabile Lumen Suum vocavit ." (Ô bonheur, Madeleine, heureuse épouse ! Annoncez les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à Son admirable Lumière.)" (27 décembre 1972)

"Attendite, quod in aure auditis, praedicate super tecta. Per te Magdalena civitas Dozulea decorabitur per Sanctam Crucem. Et aedificet Sanctuarium Domino in monte ejus. Terribilis est locus iste." (Attention ! ce que vous entendez à l'oreille, proclamez-le sur les toits. Par vous, Madeleine, la cité de Dozulé sera ornée par la Sainte Croix, et qu'elle édifie un Sanctuaire au Seigneur sur Sa montagne. Que ce lieu est redoutable !) (12 juin 1973)

"Ayez la bonté de répéter ceci" : "Misit Dominus Manum Suam et dixit mihi : Spiritus, Dominus docebit vos quaecumque dixero vobis." (Le Seigneur étendit la main et me dit : l'Esprit,-le Seigneur vous enseignera tout ce que Je vous aurai dit.) Ensuite, toujours Son bras levé vers moi et Sa main gauche sur Sa poitrine, Il m'a dit : "Allez dire à l'évêché toutes les paroles que Je vous ai dictées. Et la servante du Seigneur aura parlé une langue qui lui est étrangère." (6 juillet 1973)

"Ayez la bonté de répéter ceci : Ecce Dominus Noster cum virtute veniet et illuminabit oculos servorum Suorum. Laetamini, laetamini in Domino, laetamini cum Magdalena. Paratum cor ejus : 'Speravi in Domino, ut se simplicitas prodit amabilis.' " (Voici que Notre Seigneur viendra avec puissance et illuminera les yeux de Ses serviteurs. Réjouissez-vous dans le Seigneur, réjouissez-vous avec Madeleine. Son coeur est prêt : "J'ai espéré dans le Seigneur, pour que l'aimable simplicité Le reflète.") (4 janvier 1974)

Un autre élément des messages de Madeleine qui donne à réfléchir est l'étroite correspondance entre certains passages sur la Miséricorde Divine et les expériences mystiques de Ste Faustyna Kowalska (1905-1938). Si ces dernières sont aujourd'hui bien connues, il faudrait se souvenir du fait que les écrits de la mystique polonaise étaient encore à l'Index au moment de la réception de ces locutions par la voyante normande, et donc presque inconnus en France. Entre le 25 décembre 1975 et le 2 janvier 1976, Madeleine note les textes d'une neuvaine de prière supposément dictés par Jésus, l'ordre des neuf intentions quotidiennes correspondant exactement à celles de la neuvaine de la Divine Miséricorde telle que nous les trouvons dans le Petit Journal de Ste Faustine : 

(Jésus à Madeleine Aumont) : 1. "Le premier jour, J'adoucirai l'amertume où se plonge l'âme des pécheurs."

Petit Journal de Ste Faustine "Aujourd’hui, amène-Moi l’humanité entière, particulièrement les pécheurs. Immerge-les dans l’immensité de ma Miséricorde. Tu Me consoleras ainsi de cette amère tristesse dans laquelle Me plonge la perte des âmes."

2. "Le deuxième jour, Je multiplierai de grâces l'âme des prêtres et des religieuses, car c'est par elle que doit être connu Mon Message."

"Aujourd’hui amène-Moi les âmes sacerdotales et religieuses, et plonges-les dans mon insondable Miséricorde. Elles m’ont donné la force de supporter mon amère passion. Par elles comme par des canaux, ma Miséricorde s’écoule sur l’humanité."

3. "Le troisième jour, Je garderai près de Mon Coeur les âmes pieuses et fidèles ; elles M'ont réconforté sur le Chemin du Calvaire."

"Aujourd’hui, amène-moi toutes les âmes pieuses et fidèles et plonge-les dans l’océan de Ma Miséricorde. Ces âmes me consolèrent sur le chemin du Calvaire. Elles furent cette goutte de consolation dans un océan d’amertume."

4. "Je verserai les rayons de Ma Grâce, au moment où ils connaîtront Mon Message, aux païens et à tous ceux qui ne Me connaissent pas encore."

"Aujourd’hui, amène-moi les païens et ceux qui ne Me connaissent pas encore. Je pensais aussi à eux durant Ma douloureuse Passion, et leur zèle futur consolait Mon Cœur. Plonge-les dans l’immensité de Ma Miséricorde."

5. "Le cinquième jour." Les rayons sortent de Son Coeur et je répète chaque phrase : "J'attirerai à l'Unité de l'Eglise l'âme des hérétiques et des apostats."

"Aujourd’hui, amène-Moi les âmes des hérétiques et des apostats. Plonge-les dans l’immensité de Ma Miséricorde. Dans mon amère Passion, elles Me déchiraient le Corps et le Cœur, c’est-à-dire mon Église. Lorsqu’elles reviendront à l’unité de l’Église alors se cicatriseront mes Plaies. Et de cette façon elles Me soulageront dans ma Passion."

6. "Le sixième jour, Je recevrai dans la demeure de Mon Coeur les enfants et les âmes humbles, afin qu'elles gardent une affection spéciale à Notre Père des Cieux."

"Aujourd’hui, amène-Moi les âmes douces et humbles, ainsi que celles des petits enfants et plonge-les dans ma Miséricorde. Ce sont elles qui ressemblent le plus à mon Cœur. Elles m’ont réconforté dans mon amère agonie. Je les voyais veiller sur mes autels comme des Anges terrestres. Sur elles Je verse des torrents de grâces. Ma grâce ne peut être reçu que par les âmes pleines d’humilité. Ce sont ces âmes-là en qui Je mets ma confiance."

7. "Le septième jour, J'accorderai des grâces de tout ordre à ceux qui, connaissant Mon Message, persévéreront jusqu'à la Fin."

"Aujourd’hui, amène-Moi les âmes qui vénèrent et glorifient particulièrement ma Miséricorde et plonge-les en elles. Ces âmes-là ont le plus partagé les souffrances de ma Passion. Ce sont elles qui ont pénétré le plus profondément en mon âme. Elles sont le vivant reflet de mon Cœur Compatissant. Ces âmes brilleront d’un éclat particulier dans la vie future. Aucune n’ira en enfer. Je défendrai chacune d’elles en particulier à l’heure de la mort."

8. "Le huitième jour, Je soulagerai les âmes du Purgatoire, Mon Sang éteindra leurs brûlures."

"Aujourd’hui, amène-Moi les âmes qui sont au Purgatoire et plonge-les dans l’abîme de ma Miséricorde. Que les flots de mon Sang rafraîchissent leurs brûlures. Toutes ces âmes Me sont très chères, mais elles Me rendent Justice. Il est en ton pouvoir de leur apporter quelque soulagement. Puise dans le trésor de mon Eglise toutes les indulgences, et offre-les en leur nom. Oh ! Si tu connaissais leur souffrance, tu offrirais sans cesse en leur nom l’aumône de tes prières, et tu paierais leurs dettes à ma Justice."

9. "Le neuvième jour, Je réchaufferai les coeurs les plus endurcis, les âmes glacées, celles qui blessent le plus profondément Mon Coeur." (2 janvier 1976)

"Aujourd’hui, amène-Moi les âmes indifférentes et froides, et plonge-les dans l’abîme de ma Miséricorde. Ce sont ces âmes-là qui blessent le plus douloureusement mon Cœur. Ce sont elles, qui au Jardin des Oliviers, m’inspirèrent la plus grande aversion. C’est à cause d’elles que j’ai dit : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de Moi » ! Pour elles, l’ultime planche de salut est de recourir à ma Miséricorde."

Position de l’Église :

Une première commission d’enquête diocésaine voit le jour en avril 1984. Le curé de Dozulé, le Père L’Horset, favorable aux phénomènes, est entendu par les enquêteurs mais non Madeleine. Le 24 juin 1985, l’évêque de Bayeux Mgr Jean Badré recommande la prudence aux fidèles mais ne conclut pas sur le fond. Le 25 octobre 1985, le cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, écrit à l’évêque de Bayeux en approuvant , mais ne se prononce pas davantage sur le fond des apparitions et des messages. Le 8 décembre suivant, l’évêque de Bayeux met en garde publiquement clergé et fidèles : "Je ne peux discerner les signes qui m’autoriseraient à déclarer authentiques les apparitions dont il est fait état, ou à reconnaître un mission qui serait donnée à l’Église de diffuser ce message. Les écrits contiennent des accents et des exigences tout à fait inacceptables." Le 15 mars 1991, un nouveau document épiscopal émis par Mgr Pierre Pican confirme cette position : "Les termes retenus en 1985 valent pour 1991 et les années à venir. Les partisans de la thèse de Dozulé et ses diffuseurs ne sont pas en communion avec l’Église." Le langage de Mgr Pican est très direct et vise avant tout ces "diffuseurs" :

"Ce pseudo-message, dont l'extravagance et le caractère absolu ne méritent pas qu'on s'y arrête, est habilement commercialisé sous la forme de tracts, de supports médiatiques, d'appels divers relancés régulièrement et d'ouvrages de vulgarisation. Cette surabondance donne une impression de sérieux: elle est proprement illusoire et rallie les gogos (...) Puisse le fanatisme déchaîné, cultivé et habilement développé par une poignée d'exaltés, ne pas nous inquiéter." [1]

Nommé évêque de Bayeux-Lisieux en 2010, Mgr Jean-Claude Boulanger montre pourtant une certaine ouverture envers les apparitions. Le 29 mai 2011, une responsable (Mme Mazot) de l'accueil des pèlerins sur la Haute Butte de Dozulé est nommée et bénie par le curé de Dozulé en présence de l'évêque, qui organise par ailleurs une Commission d'Enquête et nomme le curé de Cambremer, Philippe Gros (un ancien médecin) pour analyser les témoignages de guérisons liées aux supposées apparitions. Mgr Boulanger rend également visite à Madeleine Aumont et la bénit.

Le site de la Haute Butte de Dozulé est la propriété de l'Association Diocésaine de Bayeux depuis le 1er juillet 2020.

Commentaire : 

Ceux qui voudraient faire une évaluation équilibrée des apparitions de Dozulé qui ne se limiterait pas à la citation des déclarations épiscopales se heurtent à une problématique complexe. Les aspects théologiques et phénoménologiques du cas sont difficiles à séparer de questions d'ordre psychologique aux niveaux individuel et collectif.

On pourrait dire que le cas de Dozulé ressemble à ceux d'autres endroits où un conflit a eu lieu entre partisans de phénomènes mystiques allégués et l'évêché (Kerizinen, Blain (Marie-Julie Jahenny), Garabandal, San Damiano, Naju, Medjugorje, Manduria...). Nous y observons une dynamique difficile à désamorcer sans intervention extérieure, dont le développement correspond généralement au scénario suivant, schéma qui se reproduit clairement à Dozulé. Confronté aux affirmations d'un(e) voyant(e), l'ordinaire du lieu s'y oppose. Les adeptes des apparitions en question, convaincus que leur évêque sceptique fait obstacle au plan de Dieu (surtout s'il y a de raisons objectives pour affirmer que les normes procédurales pour l'évaluation des phénomènes n'ont pas été respectées), se retranchent dans un sentiment de persécution. Tiraillés entre les appels à l'obéissance et leur conviction intérieure que les messages communiqués par les voyants seront perdus s'ils se plient aux directives de l'évêché, ils ne se dispersent pas mais contre-attaquent par diverses publications, soit par la diffusion de tracts au niveau local, soit par le biais d'éditeurs spécialisés dans les révélations privées. Se retranchant dans un sentiment de persécution, le ton de leurs publications devient souvent extrême, faisant parfois appel à la vengeance divine, surtout si dans les messages eux-mêmes on retrouve des commentaires négatifs au sujet de l'évêché en question. L'évêque, par contre, voit ces références comme des projections, c'est-à-dire comme une nouvelle preuve de l'inauthenticité de ces messages. Il redouble donc les sanctions en accusant les partisans des apparitions de désobéissance et fanatisme (voire "complotisme"). Bien évidemment, de telles mesures ne font que renforcer la conviction des inconditionnels des mystiques concernant leur évêque... et ainsi de suite. On a parfois même l'impression curieuse que le bras de fer qui s'installe n'a plus grand chose à voir avec les messages à l'origine du contentieux, les mystiques eux-mêmes se retirant souvent dans le silence ou au moins la discrétion. Tel semble avoir été le cas de Madeleine Aumont, qui exprimait même son désaccord avec certains de ses adeptes.

A ces considérations générales, on peut rajouter des particularités de l'historique des événements de Dozulé qui rendent leur évaluation encore plus épineuse. D'abord, même parmi ceux qui sont favorables envers les apparitions, il n'y a pas d'accord quant à leur nombre, Madeleine elle-même ayant rejeté certains messages suite au 2 janvier 1976 comme le fruit d'une tromperie diabolique. Un autre élément qui complique le cas de Dozulé concerne l'activité d'une deuxième "voyante", Fernande Navarro (mieux connu en tant que JNSR - "Je Ne Suis Rien / Jésus Notre Seigneur Revient") à partir de 1988. Ses supposées locutions ont connu une diffusion considérable dans les médias catholiques francophone et ont été à l'origine de la diffusion des "croix de Dozulé" de 738 cm dans plusieurs pays et dont les locutions. "JNSR" est pourtant jugée peu fiable par beaucoup de commentateurs, y compris par certains qui sont plutôt bien disposés envers les messages transmis par Madeleine Aumont. Dans les locutions de JNSR, les approximations théologiques ne sont pas rares et le sens logique souvent difficile à trouver. Certains propos sont clairement irrecevables : par exemple, elle attribué à Jésus (12 février 2013) l'affirmation que la Véritable Eglise "n'est plus" suite à la démission de Benoît XVI.

Notes : 

[1] https://www.revueenroute.jeminforme.org/dozule_7.php